En 2010, la Haute Autorité de Santé apporte le fameux slogan aux apprentis chirurgiens : « jamais la première fois sur une patiente » (1). Il est parfois difficile pour un jeune chirurgien d’assumer sa propre insuffisance de formation malgré les nombreuses heures passées à l’hôpital (2). Le compagnonnage possède ses limites en s’affranchissant peu de la variabilité inter-individuelle ou des compétences du formateur. Le compagnonnage n’est pas toujours pris en compte dans le temps de travail horaire des chirurgiens, dans leur attribution de mérite, ni même dans leur salaire (3). La population des gynécologues obstétriciens en formation représente une forte proportion des gynécologues obstétriciens en exercice (1800 sur 5600) (4). C’est une population réceptive et proactive adaptée à l’étude de l’évaluation de la formation.
Tutoriels
Tutoriels de l’association accessibles en réalité virtuelle sur smartphone sur l’application Revinax : A gauche, haut : dystocie des épaules, fœtus dos à droite, avec le point de vue de l’opérateur associée à une vue interne filmée simultanément par une caméra synchronisée. A droite, haut : donnée additionnelle d’un tutoriel de positionnement de la sonde en échographie fœtale : la coupe nez-bouche par abord supérieur. Accessible depuis la scène en VR en tournant la tête à gauche.
A propos de la formation par compagnonnage, celle-ci a démontré ses limites actuelles dans le cadre de la formation à la chirurgie d’urgence avec près de 80% des assistants et CCA qui n’ont pas pu pratiquer d’hystérectomie d’hémostase en premier opérateur (5). L’engouement pour la formation digitale est évalué à 65% de l’effectif qui se forme majoritairement à la théorie sur un support en ligne pour l’échographie fœtale (6). Sur l’étude menée à Tenon en 2023, 96% des participants pensent que les vidéos chirurgicales leurs sont utiles pour leur formation continue avec une utilisation mensuelle(7). L’association des gynécologues obstétriciens en formation mène un travail pour apporter le support de formation le plus efficient, au sein de la communauté francophone de la spécialité. Voici quelques exemples de supports associant le contenu à son usage.
Quel support pour quel apprentissage ?
Edgar Dale lors de recherches en 1946 sur la mémorisation retrouvait qu’après quinze jours, on ne retenait que 10 % de ce que l’on lisait et 90 % de ce que l’on vivait (8). Vivre une expérience permet de mieux l’assimiler. La simulation est donc une technique de choix pour l’apprentissage par l’expérience vécue (car on contrôle plus difficilement l’ensemble de l’expérience vécue en stage d’internat). La lecture est une technique de choix pour retenir des éléments essentiels théoriques en l’associant à une illustration adaptée aux va-et-vient du regard du lecteur. Le support audio peut augmenter l’expérience vécue. La chaine de podcast « Le micro des gynéco » créé par l’association AGOF a un taux d’écoute très élevé auprès de la population des internes de la spécialité (9). Il y a environ 850 écoutes par semaine depuis 2 ans pour une population de 1000 internes (et 400 assistants/CCA…). Il a été démontré que plus un chirurgien voyait une intervention, meilleure serait sa première réalisation, et les suivantes(10). Lors d’une intervention, les compétences à apprendre peuvent associer du savoir théorique, des gestes et éventuellement des soft skills (nécessité d’interagir avec l’aide opératoire ou l’équipe). Les principales ressources apportées par les vidéos chirurgicales sont une amélioration des connaissances des temps clefs (96%), de l’anatomie (83%) et des gestes à faire / prohiber (86%) (7). L’apprentissage dit « à la première personne » est différent de celui en tant qu’aide opératoire. L’aide opératoire apprend sous un angle de vue différent qui est bien sûr reconnu comme une connaissance indissociable du geste opératoire lui-même. L’apprentissage en fonction de l’angle de vue est un sujet d’étude sérieuse, notamment à l’aide de l’IRM fonctionnelle (11). Le point de vue à la première personne active le réseau des neurones miroirs. Les aires corticales cérébrales correspondantes aux membres sollicités lors de la réalisation du geste sont activées (11). Le processus de mémorisation d’un geste s’en trouve simplifié, et amélioré (12). Ce ne sont donc pas les mêmes aires cérébrales qui sont activées quand on pratique le geste que lorsqu’on le voit pratiqué.
La réalité virtuelle semble un support de choix pour assimiler certains gestes complexes en réutilisant le circuit de mémorisation « de pratique du geste ». L’utilisation de la réalité virtuelle pour la pédagogie en chirurgie gynécologique en France semble débuter dès 2011 par un tutoriel d’hystérectomie en coelioscopie du Dr Crochet au CHU de Marseille (13) ainsi que de la modélisation obstétricale complexe à l’aide du Docteur Jean Paul Renner (14). En 2016, les travaux de Maxime Ros, neurochirurgien et docteur en sciences de l’éducation ont modifié la perspective de ce support avec l’apport du bénéfice du point de vue à la première personne, de la captation réelle et de l’angle de vue à 180° (15). L’usage du cardboard avec le smartphone pour utiliser la réalité virtuelle à faible coût et investissement matériel pour l’utilisateur est particulièrement intéressant pour l’apprentissage en open access.
L’association AGOF a participé à la création de 6 tutoriels en réalité virtuelle sur les manœuvres d’urgences obstétricales (dystocie des épaules, accouchement du siège), amniocentèse, biopsie de trophoblaste, échographie cardiaque fœtale. Une opération de chirurgie fœtale a été filmée avec le soutien du Professeur Ville à Necker. Ces vidéos sont au point de vue à la première personne, à 180 degrés, accessible sans restriction de lieu ou de temps. La réalité virtuelle est également accessible sur smartphone via un cardboard. Il est d’usage pour l’association d’offrir des cardboard en congrès.
Simulation à l’échographie
La ponction de trophoblaste lorsque le trophoblaste est postérieur : astuces de positionnement. Point de vue à la première personne de l’opérateur avec vision de l’écran d’échographie synchronisée.
La vidéo avec simulation assistée
Pour l’apprentissage de repères anatomiques guidés par l’échographie nous avons développé un concept associant une courte vidéo à un simulateur en ligne permettant de reproduire l’astuce échographique associée à l’exploration de l’organe d’intérêt. Il n’y a pas de restriction de lieu, de temps, de matériel onéreux (autre que le smartphone). L’étudiant n’a pas de frais d’utilisation du support.
Websérie
La websérie internationale en 4 étapes : format MOOC avec les questions des utilisateurs puis les explications de l’orateur, la mise en application sur des patientes volontaires proposées par les apprenants, puis une simulation en ligne avec reconstruction de la zone d’étude par segmentation. Dans ce modèle, l’utilisateur est au centre du concept, permettant un réinvestissement du chiffre d’affaire dans de nouveaux épisodes.
L’apprentissage physique et digital avec les outils technologiques
Enfin l’usage de la réalité augmentée s’applique à l’inverse lors de l’apprentissage en live ou en simulation. Certaines techniques de segmentation en vidéo pourraient être retransmises en live. Lors du congrès d’anatomie et chirurgie robotique des trois associations de jeunes chirurgiens AGOF, AJCV (chirurgiens viscéraux) et AFUF (urologues) , un live retransmis associant la réalité augmentée est en cours de réalisation pour octobre prochain.
Plateforme vidéo
Plateforme vidéo (non commerciale) de retransmission live et replay de congrès associatif d’anatomie et chirurgie robotique (Association des gynécologues en formation, des jeunes chirurgiens viscéraux et urologues ). Cas cliniques préparés en utilisant la réalité augmentée.
Difficultés d’accès aux centres de simulation, l’ère de l’apprentissage en open source avec matériel restreint
L’ère de la formation dans des centres de simulation au sein des universités semble atteindre ses limites organisationnelles. L’accès à la formation moins contraignante se démocratise.
La vidéo est en accès libre, comme le souligne l’avènement des MOOC (massive open online course). L’approche associative a permis un support dépassant les limites usuelles d’une université. Les supports de l’AGOF sont actuellement utilisés dans 87 pays, majoritairement francophones. L’ensemble de la communauté est en position de choisir le sujet et les orateurs de leurs formation.
Les vidéos et podcasts sont en accès libre pour un professionnel de santé, voire le grand public. Il n’y a pas de frais d’abonnement ni d’inscription onéreuse à une plateforme qui revend les données des utilisateurs. Les supports en réalité virtuelle sont visionnable sur smartphone à l’aide d’un casque non onéreux appelé cardboard, d’accès simple sur l’ensemble des territoires. La websérie d’échographie utilise un simulateur online. Le smartphone peut être utilisé comme sonde d’échographie.
On observe depuis quelques temps un business model créé par des entreprises ou des enseignants considérant les étudiants comme une ressource de financement de ces supports. L’habitude de travail « gratuit » sans limite par les internes se reporte malheureusement dans la mentalité de certains chefs d’entreprise ou formateurs. A l’ère du tout numérique et de l’internet, l’utilisateur est plus souvent le produit que le financeur. L’investissement financier timide pour un modèle de formation par les utilisateurs se fait ressentir. Cet argent est le plus souvent investi par des entreprises non médicales, ou peu coordonnées avec les utilisateurs. Cela pourrait désintéresser les étudiants ou chirurgiens en formation continue des supports français.
La vidéo exclut-elle le compagnonnage ?
Le compagonnage utilisant la vidéo / debrieffing présentiel en effectif restreint semble être une richesse sous exploitée pour l’apprentissage. Les vidéos sont de meilleures qualités que certains amphithéâtres magistraux mais n’empêchent pas une interaction sur des temps opératoires dédiés. Cela prend tout son sens pour des procédures complexes afin d’effectuer un retour d’expériences auprès des plus expérimentés.
Bibliographie
-
-
HAS, 2011, outils_du_guide_methodo_simulation_en_sante_et_gestion_des_risques.pdf.
-
Présentation du Professeur Olivier Turrini sur le temps de travail des internes, 19/06/2019, académie de chirurgie. 2019.
-
La formation initiale des futurs chirurgiens [Internet]. Rapport de l’Académie Nationale de Chirurgie; 2021. Disponible sur: https://www.academie-chirurgie.fr/admin/uploads/media/photo/0001/05/35a693fe9366cbf997c3bde4d4044a28bda66c0d.pdf
-
Morel, Olivier. Enquête démographique , commission CEGO-CNGOF. 2022.
-
Puroski, Laura, Crochet, Patrice. étude nationale sur le ressenti des internes vis à vis de leur préparation aux gestes essentiels de l’internat de gynécologie obstétrique, en comparaison avec le ressenti des PU. 2023;
-
Glicenstein, Frédéric. Utilité de la réalité virtuelle pour l’apprentissage des gestes guidés par l’échographie. Paris Saclay; 2023.
-
Mimoun, Camille, Dabi, Yohann. Place de la vidéo chirurgicale pédagogique pour les internes de gynécologie-obstétrique. Disponible sur: https://videos-chirurgicales.u-paris.fr/place-de-la-video-chirurgicale-pedagogique-pour-les-internes-de-gynecologie-obstetrique/
-
Dale E. Audio-Visual Methods in Teaching. NY Dryden Press 1946. 1946;
-
Le micro des gynéco [Internet]. Disponible sur: https://podcast.ausha.co/le-micro-des-gyneco
-
Custers EJFM, Regehr G, McCulloch W, Peniston C, Reznick R. The Effects of Modeling on Learning a Simple Surgical Procedure: See One, Do One or See Many, Do One? Adv Health Sci Educ. 1999;4(2):123‑43.
-
Jackson PL, Meltzoff AN, Decety J. Neural circuits involved in imitation and perspective-taking. NeuroImage. mai 2006;31(1):429‑39.
-
Ros Maxime. Virtual immersive reality. E-Mem Acad Natle Chir 2017164006. 2017;
-
Crochet P, Aggarwal R, Dubb SS, Ziprin P, Rajaretnam N, Grantcharov T, et al. Deliberate Practice on a Virtual Reality Laparoscopic Simulator Enhances the Quality of Surgical Technical Skills. Ann Surg. juin 2011;253(6):1216‑22.
-
Siméon G. Jean Paul Renner : le dernier cri du premier cri. 2013; Disponible sur: https://www.liberation.fr/societe/2013/05/26/jean-paul-renner-le-dernier-cri-du-premier-cri_905801/
-
Ros M, Neuwirth LS, Ng S, Debien B, Molinari N, Gatto F, et al. The Effects of an Immersive Virtual Reality Application in First Person Point-of-View (IVRA-FPV) on The Learning and Generalized Performance of a Lumbar Puncture Medical Procedure. Educ Technol Res Dev. juin 2021;69(3):1529‑56.
-
Article rédigé par Frédéric Glicenstein, Maternité de Saint Maurice
À lire aussi
ResoMeds : Réseau social avec diffusion de vidéos
Les case reports enrichissent les connaissances médicales, la formation des médecins et améliorent les pratiques [1-4]. Mais leur publication est souvent limitée dans les revues existantes [5]. Nous voulons ici souligner l'importance de la création d’une plateforme...
La vidéo permet de mieux retenir l’anatomie chirurgicale
En ORL, une nouvelle publication montre qu'une vidéo pédagogique améliore l'apprentissage de l'anatomie et la rétention des connaissances dans le long terme. Cette étude conduite par l'équipe d'ORL de Necker-Enfants Malades, APHP (Université Paris Cité) et dirigée par...
Place de la vidéo chirurgicale pédagogique pour les internes de gynécologie-obstétrique
Comment offrir aux internes de gynécologie-obstétrique une formation chirurgicale de qualité alors même que le nombre de « chirurgies simples » diminuent par augmentation de recrutements complexes dans les centres experts, que le temps qui y est dédié est réduit avec...
Le live surgery est-il sans risque ?
La chirurgie en direct-live est devenue un format populaire utilisé dans de nombreux congrès/meetings chirurgicaux éducationnels. L’enseignement en direct de l’anatomie et de la chirurgie a toujours été d’actualité depuis le 18ème siècle pour former les générations de...